par Sandeep Prasad
Version anglaise d’abord paru dans le Montreal Gazette
L’utérus n’a pas la cote au Québec, alors que ne cessent de diminuer les services de santé génésique dans la province. La plus récente attaque vient du projet de loi 20, qui limite le temps que peut consacrer un médecin à la santé sexuelle et génésique, notamment en matière d’avortements, de conseils en contraception et de dépistage d’infections transmises sexuellement (ITS).
Au Canada, le droit à l’avortement est reconnu depuis 30 ans, et jugé acte médical essentiel depuis 1995. La Loi canadienne sur la santé stipule que chaque régime provincial ou territorial de soins de santé doit offrir sans contraintes des services d’avortement et les défrayer.
Les mesures d’austérité décrétées par le gouvernement provincial érodent des droits chèrement acquis. Bien que le ministre Barrette allègue ne pas vouloir rouvrir le débat sur l’avortement, le projet de loi 20 réduira substantiellement l’accès à des services d’avortement ponctuels et abordables. Par ailleurs, le gouvernement est incapable de prouver que les quotas et les charges accrues de travail qu’il entend imposer aux médecins ne diminueront en rien la disponibilité des services d’avortement, surtout ceux dispensés par des docteurs qui ne s’y consacrent pas à temps plein.
Le Québec a la réputation d’un chef de file en santé génésique, et la province abrite près de la moitié des établissements de soins abortifs du Canada. Le Québec doit continuer d’inspirer les autres provinces et territoires à viser haut, et non à réduire les services offerts à la population. En l’absence de garanties clairement définies quant aux services d’avortement, le projet de loi 20 aura de sérieux impacts qui déborderont de ses frontières puisque la province accueille de nombreuses patientes des provinces maritimes, où les services d’avortement sont limités, voire manquants.
Le Canada est reconnu pour offrir un accès universel aux soins de santé, ce à quoi l’obligent les instruments internationaux en matière de droits de la personne. Le mandat du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies comporte les droits spécifiques à la santé et de disposer de son corps. Les États parties, dont le Canada, ont donc l’obligation de prendre des mesures favorisant la santé maternelle, sexuelle et génésique. Les résultats du Canada au chapitre du droit à l’avortement faisant déjà sourciller le Comité, il n’est que temps de protéger expressément ce droit dans le projet de loi 20.
Nous nous battons depuis de nombreuses années au Canada et à l’étranger pour faire reconnaître les droits des femmes à leur santé et à un meilleur accès à des services essentiels dans le domaine. Quoi qu’en dise le ministre Barrette, l’absence de garanties explicites dans le projet de loi 20 quant au droit à l’avortement mènera probablement à une diminution des services de soins abortifs qu’offrent déjà trop peu de médecins. Et même si ces médecins échappent aux limites imposées par le projet de loi comme le suggère le ministre, la question de la prestation des services d’avortement demeure : quels médecins les offrent, dans quel contexte les offrent-ils, et combien en offriront encore alors que de plus en plus de ces médecins prendront leur retraite?
Près de 80 % des avortements pratiqués au Québec le sont par un nombre restreint de médecins. Les vérifications préalables qu’impose le projet de loi 20 pourraient réduire encore plus l’accès à ces services en pénalisant les généralistes dont les patients décident de se faire avorter ailleurs sans avoir obtenu de renvoi préalable. L’avortement, geste devant pourtant être posé le plus tôt possible au cours d’une grossesse, pourrait alors être retardé de quelques semaines. La confidentialité médicale, élément clé des services de santé génésique, pourrait aussi en souffrir, ainsi que l’accès à des cliniques spécialisées en planification familiale. Il pourrait également en résulter une privatisation de certains soins essentiels de santé. Les personnes souhaitant se faire avorter pourraient devoir subir les arguments de partisans anti-choix ou de professionnels de la santé chargés de contrôler l’accès aux services et peu disposés à les aider. L’accès aux services d’avortement, loin d’être amélioré, en serait d’autant retardé.
Le projet de loi 20 pose une menace sérieuse aux droits sexuels, génésiques et fondamentaux des femmes. Le gouvernement du Québec doit expressément et formellement garantir l’ensemble de ces droits, et continuer de les protéger comme par le passé.