par Sandeep Prasad et Colleen MacQuarrie*
Version anglaise d’abord paru dans Huffington Post
Au Canada, l’avortement est légal depuis plus de 30 ans. Le droit pénal canadien n’interdit l’accès ni aux services d’avortement ni aux soins après avortement. Jugé acte médical essentiel par la Loi canadienne sur la santé, l’avortement doit être accessible sans contrainte et remboursé par les régimes provinciaux et territoriaux d’assurance maladie.
L’on pourrait donc en conclure que n’importe qui au Canada peut se prévaloir de cet acte médical essentiel, mais il en va tout autrement. Seul un hôpital sur six offre des services d’avortement, et cet hôpital est la plupart du temps situé en zone urbaine à moins de 150 km de la frontière américaine. La plupart des provinces ne défraient que les avortements chirurgicaux. Pour sa part, l’Île-du-Prince-Édouard ne rembourse que les avortements médicamenteux, lesquels ne sont prescrits que par une poignée de médecins qui conservent l’anonymat par peur de représailles.
Récemment, une femme a attendu cinq heures dans une salle d’urgence de la province après avoir reçu des instructions erronées sur la prise d’un médicament abortif, pour finalement entendre de l’urgentiste qu’il ne se sentait pas à l’aise de traiter son cas, et se faire montrer la porte sans avoir obtenu de soins.
Au Canada, les médecins ont le droit d’invoquer leurs convictions morales ou religieuses pour refuser d’offrir un service médical. Mais ils ont aussi l’obligation de garantir le droit de toute personne à son intégrité physique, à son autonomie et à vivre en santé, ce qui leur impose de diriger cette personne vers un autre médecin en mesure de lui offrir le service médical demandé. Advenant l’impossibilité de rediriger la personne par manque de personnel local compétent, ou si la vie de cette dernière est en danger, le premier médecin est tenu de la traiter.
Dans le cas récemment survenu à l’Île-du-Prince-Édouard, la femme s’était fait diriger vers l’hôpital par les préposés du service téléphonique d’urgence de la province. Une fois à la salle d’urgence, la femme avait commencé à souffrir de crampes et de saignements. C’est alors que l’urgentiste qui l’a reçue lui a dit d’aller à Halifax, à 300 km de là dans une autre province, pour recevoir les soins après avortement qu’elle nécessitait : un aller-retour en autocar qui coûte plus de 100 $.
La plupart des résidantes de l’Île-du-Prince-Édouard qui souhaitent un avortement sont déjà obligées d’aller dans une autre province. Ce qui rend le cas présent encore plus préoccupant est le refus de l’urgentiste de respecter ses obligations professionnelles et de fournir conseils et soins à une patiente en situation d’urgence, allant même jusqu’à risquer la vie de cette dernière. Et que penser de la direction de l’hôpital et du ministère provincial de la Santé qui ont jugé que l’urgentiste avait respecté les procédures en vigueur?
Un médecin a l’obligation de soigner. S’il n’a pas la formation requise ou qu’il invoque ses convictions religieuses ou morales pour refuser de donner les soins nécessaires, le médecin a l’obligation de diriger la patiente vers un confrère qui la traitera sans retard. Le fait de diriger une patiente en situation d’urgence vers une autre province ne respecte nullement cette obligation.
Ce cas nous rappelle qu’il est impératif de réglementer l’accès à cet acte médical essentiel que refuse l’Île-du-Prince-Édouard, et qu’il importe de garantir un accès local aux services d’avortement, comprenant notamment une information accrue et un meilleur réseau d’accès, une politique écrite sur les avortements médicamenteux et, surtout, des journées réservées en clinique aux femmes qui souhaitent un avortement. Le réseau pour l’avortement (Abortion Rights Network) de l’Île-du-Prince-Édouard a détaillé ces besoins (en anglais seulement) dans une lettre éclairée au premier ministre provincial Wade MacLauchland et au ministre provincial de la Santé et du bien-être, Doug Currie.*
En plus de mettre en danger la vie des femmes qui souhaitent une interruption de grossesse, ce refus de la province d’offrir des services d’avortement constitue une atteinte aux droits de la personne. Les femmes (souvent jeunes) qui habitent dans des communautés n’offrant pas de services de santé essentiels (dont d’avortement) sont obligées de se rendre à l’autre bout de leur province, voire dans une province voisine, pour accéder à un acte médical jugé essentiel au Canada. Ces femmes, dont certaines ont une famille ou un emploi prenant, n’ont pas toujours l’argent, le mode de transport ou le temps d’effectuer pareils déplacements.
La vie de ces femmes est inutilement mise en danger par cette combinaison d’un accès insuffisant à des services d’avortement et du refus de certains médecins de respecter leur obligation professionnelle de bien les soigner ou de les rediriger sans retard. L’Île-du-Prince-Édouard est certes la seule province canadienne n’offrant aucun service d’avortement chirurgical, mais l’accès à des services d’avortement demeure limité partout au Canada, exception faite des zones urbaines. Par ailleurs, plusieurs cas ont été signalés au pays de médecins qui refusent d’offrir des contraceptifs ou des services d’avortement, ou de rediriger une patiente vers un confrère.
En réaction, les Collèges des médecins et chirurgiens de l’Ontario et de la Saskatchewan ont révisé leur politique encadrant les objecteurs de conscience. Dans ces deux provinces, la nouvelle politique exige qu’un patient mal en point ou en situation d’urgence soit traité ou redirigé sans retard, et rappelle que tout médecin a l’obligation première de soigner sans retard. Cette notion de temps est particulièrement importante dans le cas des femmes qui souhaitent une interruption de grossesse, puisque les avortements doivent généralement être effectués durant les douze premières semaines de grossesse (peu de médecins étant formés à pratiquer un avortement tardif), et que la plupart des provinces canadiennes n’autorisent l’avortement médicamenteux que durant les sept premières semaines de grossesse. De plus, une femme obligée de poursuivre une grossesse en attendant de pouvoir subir un avortement subira un stress émotif et psychologique nuisible.
L’importance de rediriger un patient sans retard échappe aux autres provinces et territoires, où une version périmée du code d’éthique de l’Association médicale canadienne cialis continue d’imposer à un médecin l’obligation d’informer un patient de sa subjectivité fondée sur des valeurs personnelles tout en dispensant ce médecin de rediriger ce patient sans retard. Comme le révèle un article (en anglais) de la CBC, l’association médicale de l’Île-du-Prince-Édouard refuse pour sa part tout conseil à ses membres.
Chaque personne est libre de ses choix en santé sexuelle. Les éducateurs et les professionnels de la santé ont un rôle important à jouer dans le respect de ces choix, puisqu’il leur revient d’offrir de l’information factuelle, exacte et utile, et des services de santé publique gratuits et légaux.
* Colleen MacQuarrie est professeure agrégée de psychologie à la University of Prince Edward Island, et porte-parole du Abortion Rights Network de cette même province. Ce réseau regroupe des particuliers et des organismes qui souhaitent que toutes les femmes habitant à l’Île-du-Prince-Édouard aient enfin accès dans leur propre province à des services gratuits d’avortement sans risques.