Le débat Munk sur la politique étrangère du Canada aura lieu le lundi 28 septembre 2015 à 19 h, au Roy Thompson Hall à Toronto. Voici cinq questions à poser pendant ce tout premier débat électoral à être consacré à des enjeux de politique étrangère. Suivez ce débat en ligne ou sur CPAC, la chaîne d’affaires publiques par câble.
1. Allez-vous défendre ou bloquer les droits sexuels et reproductifs?
Le Canada a déjà été un chef de file mondial sur l’égalité des genres et les droits de la personne, dont les droits sexuels et reproductifs, mais cette réputation a souffert ces dernières années. Au lieu de s’impliquer à fond dans de nouvelles initiatives mondiales progressistes sur les droits sexuels et reproductifs, le gouvernement du Canada s’est désintéressé de la question, laissant les autres s’en occuper. Bien que le gouvernement ait d’un côté piloté certains dossiers spécifiques dans ce domaine (p. ex. les mariages précoces ou forcés d’enfants, l’orientation sexuelle et la santé maternelle), il a de l’autre mis de l’avant des propositions régressives, et même bloqué certaines négociations intergouvernementales en faveur des droits sexuels et reproductifs. Le meilleur exemple? Les négociations entourant la résolution annuelle du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la violence faite aux femmes. En 2013, le Canada a profité de sa présidence de ces négociations pour faire obstacle à des propositions qui auraient réitéré l’importance des droits reproductifs et auraient ajouté l’avortement sans risques (lorsque légal) aux services offerts aux victimes de violence sexuelle. En 2014, cette obstruction du Canada a poussé 18 pays qui lui étaient traditionnellement alliés à retirer leur appui à cette résolution. Pour reprendre le devant de la scène internationale sur les questions d’égalité de genre et de droits sexuels et reproductifs, le Canada doit axer sa politique étrangère sur une toute nouvelle stratégie en ce sens, tendant la main à des partenaires et faisant avancer ces enjeux en favorisant un discours progressiste lors de négociations intergouvernementales. Quel rôle envisage chaque chef de parti : celui de défenseur, ou d’objecteur?
2. Allez-vous ou non mieux appuyer les organismes et processus multilatéraux?
Ces dernières années, le Canada s’est généralement tenu éloigné des forums mondiaux de prise de décision et a réduit son appui aux organismes multilatéraux. Or, le Canada avait été l’un des instigateurs de quatre projets : le poste de Rapporteur spécial des Nations Unies chargé de la question de la violence contre les femmes, la Convention relative aux droits de l’enfant, la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que la politique adoptée en 1999 par l’Agence canadienne de développement international sur l’égalité des genres, universellement applaudie à l’époque. Pour recommencer à défendre les droits sexuels et reproductifs sur la scène internationale, le Canada doit s’attaquer à certains dossiers souvent passés sous silence.[1] Le Canada doit aussi augmenter l’appui qu’il accorde aux organismes onusiens : ces derniers sont essentiels aux droits sexuels et reproductifs, pour lesquels ils élaborent le soutien technique requis, renforcent les capacités, pilotent les négociations intergouvernementales et gèrent l’aide au développement.
3. Allez-vous garantir une aide publique au développement équivalant au taux convenu de 0,7 % du RNB canadien?
Le Canada a déjà par le passé été un chef de file sur cette question, mais ce n’est plus le cas depuis quelques années. Les sommes consacrées par le gouvernement du Canada à son aide publique au développement ne dépassent pas 0,24 % du revenu national brut (RNB), alors que l’objectif convenu était de 0,7 %. Pour leur part, les montants consacrés aux projets de genre et aux organismes de défense des droits des femmes sont en chute libre. Le total mondial de l’aide publique au développement a beau augmenter, l’appui canadien aux organismes multilatéraux, notamment ceux défendant les droits sexuels et reproductifs et les droits de la personne, demeure inchangé. Le budget 2015 n’a pas mis fin au gel de l’aide internationale et le ministère des Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada n’appuie presque pas la santé reproductive ni la planification familiale, et encore moins les organismes de défense des droits des femmes. Le gouvernement du Canada a beau proclamer son intérêt pour la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, il n’a consacré à la planification familiale ces quatre dernières années qu’à peine 1,2 % de tous les fonds déboursés en vertu de l’Initiative de Muskoka. Or, en une seule année, le gouvernement du Royaume-Uni a pour sa part alloué à la planification familiale plus du double du total versé par le Canada pendant ces quatre ans.
4. Que va-t-il advenir de l’Initiative de Muskoka?
Les positions idéologiques du Canada face au développement international, notamment sur les droits sexuels et reproductifs, lui ont valu des critiques de nombreux pays et partenaires, en particulier sur l’Initiative de Muskoka sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, qui se voulait pourtant un projet phare. Le futur gouvernement du Canada devrait bonifier cette Initiative en l’étayant d’une solide optique sur les droits de la personne, l’égalité de genre, ainsi que la santé et les droits sexuels et reproductifs : n’importe qui pourrait ainsi avoir droit à une gamme complète de renseignements et de services de santé sexuelle et reproductive, conformément aux droits internationaux de la personne. Cependant, la santé sexuelle et reproductive va au-delà de simples services, et exige de se pencher sur les principales hypothèses liées aux déterminants de cette santé au sein de différents segments de la population. Il importe donc d’éradiquer les causes profondes des inégalités sociales et de genre, et de modifier les structures du pouvoir et les processus décisionnels à tous les niveaux et dans tous les milieux : à la maison, dans la communauté, au bureau, dans les ministères ou le secteur privé. Cette nouvelle approche doit aussi éliminer les obstacles causés par divers stigmates et formes de discrimination, y compris croisée, qui entravent l’accès à des renseignements et à des services essentiels de santé sexuelle et reproductive. Ces entraves provoquent de piètres résultats cliniques, en plus de perpétuer des pratiques et des tabous néfastes en matière de sexualité et de procréation. Une plus grande implication dans ce domaine devrait se greffer aux responsabilités gouvernementales en faveur de l’amélioration des systèmes nationaux de santé, et ainsi renforcer les capacités de ces derniers liées aux droits sexuels et reproductifs.
5. Allez-vous recommencer à financer les avortements sans risques dans le cadre de l’aide canadienne au développement?
Depuis 2010, le gouvernement du Canada ne cesse de déclarer publiquement que les montants qu’il consacre à l’aide au développement ne serviront pas à subventionner des services d’avortement. Ce refus n’étant documenté dans aucune politique officielle publiée ces cinq dernières années, il n’a jamais été soumis au Parlement pour son aval. Ce refus est de nature strictement idéologique et ne repose sur aucune donnée médicale ni pratique d’excellence. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, il se pratique chaque année dans le monde près de 22 millions d’avortements non médicalisés, qui sont responsables de 13 % des décès maternels. Pour la seule année 2008, ces avortements ont causé la mort de 47 000 femmes et une invalidité temporaire ou permanente chez près de 5 millions d’autres. Plus de 14 millions de filles sont mariées de force chaque année, et près de 90 % des adolescentes qui accouchent sont mariées. Une fille mariée court deux fois plus de risques d’être victime de violence sexuelle, de subir une grossesse non désirée ou de recourir à un avortement non médicalisé. Malgré les entraves juridiques et sociales à l’avortement et le manque de services d’avortement sans risques dans les pays en développement, le taux d’avortement y est plus élevé que dans le reste du monde, ce qui prouve clairement que les restrictions entourant l’avortement n’en diminuent pas le nombre, mais poussent plutôt les femmes à subir des avortements non médicalisés et clandestins qui mettent leur vie et leur santé en danger.
Branchez-vous à 19 h HNE le lundi 28 septembre pour suivre le débat, soit en ligne soit sur CPAC, la chaîne d’affaires publiques par câble.
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[1] Entre autres : droit à l’avortement, viol conjugal, lois et politiques discriminatoires, traditions préjudiciables liées aux normes de genre et aux stéréotypes, éducation sexuelle complète, droits sexuels, orientation sexuelle, expression et identité de genre, contraception d’urgence, vision positive de la sexualité et de la procréation, accès des adolescents à des services de santé sexuelle et reproductive, stigmates, et discrimination.