Par Sandeep Prasad
Version anglaise d’abord paru dans la Gazette de Montreal
Sandeep Prasad est directeur général d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels, un organisme de bienfaisance pro-choix et progressiste qui défend et promeut la santé et les droits sexuels et reproductifs au Canada et à l’étranger.
La récente campagne électorale a accordé une large place aux droits des femmes : pour la première fois en 30 ans, les chefs des partis en ont discuté de façon spécifique, dans le cadre de la campagne Place au débat; le niqab a polarisé l’opinion publique; le débat de l’Institut Munk et le second débat télévisé en français ont soulevé la question de l’avortement au Canada et ailleurs; et chacun des chefs a présenté ses stratégies pour de meilleurs services de garde et contre la violence faite aux femmes. Le scrutin s’est tenu il y a quelques jours, et il est maintenant temps de passer de la parole aux actes. Il y a beaucoup à faire, et le temps presse si le Premier ministre Trudeau veut concrétiser les changements qu’il a promis aux électeurs.
La première promesse à tenir sans tarder est l’abrogation de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (l’ancien projet de loi C-36). Ce geste serait un grand pas en avant et confirmerait notre sérieux face aux droits de la personne. Outre le fait que cette loi menace la santé et la sécurité des personnes travaillant dans l’industrie du sexe, son libellé viole les mêmes droits qui avaient valu aux dispositions du Code criminel qu’elle a remplacées d’être jugées inconstitutionnelles.
La deuxième priorité du gouvernement est la négociation d’un nouvel accord sur la santé avec les provinces et territoires. Le Canada a beau être réputé pour son régime médical universel, l’Accord sur la santé de 2004 est arrivé à échéance l’an dernier et notre pays ne dispose toujours d’aucun régime pancanadien d’assurance médicaments. Nous avons maintenant la chance de rendre justice à notre réputation en garantissant partout au pays un accès réel à des services d’avortement, ainsi qu’un régime d’assurance médicaments qui soulagerait les nombreux Canadiens qui doivent aujourd’hui payer de leur poche leurs contraceptifs, leurs traitements contre la stérilité ou dans le cadre de leur changement de sexe, leurs antirétroviraux et leurs médicaments abortifs.
À peine un sixième des hôpitaux canadiens offrent des services d’avortement, la plupart étant dans les grands centres un peu partout au Canada, tout comme les cliniques de santé sexuelle. Par ailleurs, Santé Canada a assorti sa récente autorisation de vente de la pilule abortive Mifegymiso de restrictions qui pourraient sérieusement réduire le meilleur accès à l’avortement qu’elle devait pourtant permettre.
Le Canada n’est plus depuis déjà un certain temps un chef de file en matière d’égalité de genre et de droits des femmes. Il est maintenant temps qu’il reprenne sa place sur la scène mondiale. Le gouvernement doit tout d’abord mettre fin à son refus, critiqué par l’Organisation mondiale de la santé, de subventionner des services d’avortement dans le cadre de son aide internationale. Chaque année, quelque cinq millions de femmes subissent de graves séquelles d’une grossesse ou d’un accouchement. Le Canada doit donc se doter d’une stratégie globale s’il veut effectivement lutter contre la mortalité et la morbidité maternelles et promouvoir les droits fondamentaux de tous, et cette stratégie doit comprendre des services légaux d’avortement sans risques, tant au pays qu’à l’étranger.
Et enfin, le nouveau gouvernement doit le plus vite possible donner suite à ses promesses électorales d’adopter une stratégie nationale de services de garde et de mettre fin à la violence faite aux femmes, y compris aux femmes autochtones.
Le manque de services de garde abordables oblige de nombreux parents – surtout des femmes – à des compromis sur le marché du travail, réduisant d’autant leurs revenus et leur influence sur un univers professionnel souvent masculin et porté aux stéréotypes et à la violence. Par ailleurs, il importe au nom des droits de la personne de mettre fin à la violence contre les femmes et de lancer une enquête publique sur les disparitions et les meurtres de femmes autochtones au Canada.
Ces cinq priorités, toutes des promesses électorales de notre nouveau gouvernement, doivent être réglées sans tarder si notre pays veut redevenir un chef de file en matière d’égalité de genre et de droits de la personne.