Par Sandeep Prasad
Version anglaise d’abord paru dans le Hill Times
Le premier discours du Trône du gouvernement Trudeau marque un moment charnière de notre histoire : notre pays est plus que jamais connecté au reste de la planète, laquelle vit une crise des réfugié(e)s sans précédent.
La santé sexuelle et reproductive est trop souvent laissée pour compte dans pareilles situations de crise : les contraceptifs manquent alors que le risque de violence sexuelle augmente, résultant en des grossesses non désirées et une augmentation des infections transmises sexuellement, dont le VIH. Dans son plus récent rapport sur l’état de la population mondiale, le Fonds des Nations Unies pour la population indique qu’une femme sur cinq en situation de crise risque de tomber enceinte. Sans services de santé reproductive, ces femmes peuvent en souffrir, voire en mourir. Ainsi, trois décès maternels sur cinq découlent de situations de crise humanitaire ou politique, quelque 507 femmes ou adolescentes mourant chaque jour de complications liées à leur grossesse ou à leur accouchement. La santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles sont en jeu, et le Canada peut tenir un rôle clé dans leur protection en situation d’urgence.
Il faudra pour cela de la volonté politique et de l’argent. Le premier ministre Trudeau a déjà promis que le Canada accueillerait 25 000 réfugié(e)s syrien(ne)s, dont 10 000 d’ici la fin 2015. Il a chargé le nouveau ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté de relancer le Programme fédéral de santé intérimaire afin d’assurer à ces réfugié(e)s et aux revendicateurs de ce statut des soins de santé de base et temporaires.
Ce début est prometteur, étant donné les graves problèmes d’accès à des soins de santé que vivaient les femmes réfugiées au Canada, résultant des réductions budgétaires et des modifications législatives imposées par le précédent gouvernement : ces femmes, privées de soins de santé sexuelle et reproductive (notamment pré- et postnataux, ainsi que durant l’accouchement), vivaient de grands risques, ne pouvant obtenir aucun contraceptif et ne bénéficiant d’aucun service de dépistage du cancer, d’avortement, ou d’appui en cas de violence conjugale. Le fait d’offrir aux personnes migrantes, surtout aux femmes, des services équitables de santé sans égard à leur statut d’immigration ou de réfugié(e) ni à leur état civil est donc essentiel, au même titre que l’élaboration de politiques et de programmes axés sur les droits de la personne et le principe d’universalité de la Loi canadienne sur la santé.
Le Canada doit toutefois déborder de ses frontières lorsque vient le moment d’offrir des soins de santé aux personnes dans le besoin. En effet, notre gouvernement doit veiller à ce que son aide publique au développement et sa politique internationale garantissent un ensemble de soins de santé axés sur les droits fondamentaux à toute personne vivant en situation de crise. Ainsi, la promesse de notre nouveau gouvernement de bonifier l’Initiative de Muskoka en comblant de façon factuelle ses lacunes liées aux droits sexuels et reproductifs est un premier pas qu’il est souhaitable de voir étendu au reste de ses activités de développement international.
Pour ce faire, notre pays devra se doter d’une politique internationale et d’aide au développement qui comprenne une gamme complète de services de santé sexuelle et reproductive partout à l’étranger, et nous pourrions nous inspirer de ce qui se fait déjà aux Pays-Bas et en Suède en la matière. Pareille politique étofferait et recalibrerait l’aide publique canadienne au développement et les interventions de notre pays dans les négociations multilatérales, permettant ainsi à la santé et aux droits sexuels et reproductifs de devenir un élément clé de notre politique internationale.
Ce geste essentiel et courageux distancerait à coup sûr l’actuel gouvernement de l’approche retenue par son prédécesseur, qui cantonnait les femmes dans un rôle de mère en évacuant sciemment leur autonomie reproductive des débats. Il est temps de remplacer les engagements pris par le gouvernement précédent, tels que l’Initiative de Muskoka sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants et les programmes de lutte contre les mariages précoces ou forcés d’enfants ou contre la violence sexuelle en zone de combats, par une approche stratégique et globale reposant sur des faits et des pratiques d’excellence.
Notre nouveau gouvernement a déjà annoncé certaines promesses, qui seront détaillées le 4 décembre. Souhaitons qu’il se trouve aussi dans le discours du Trône un engagement sans équivoque envers la santé et les droits sexuels et reproductifs de toutes et tous, y compris les 100 millions de personnes en situation de crise humanitaire.
Sandeep Prasad est directeur général d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels