Par Sandeep Prasad, directeur général d’Action Canada
Article initialement publié dans le Huffington Post
En 2012, une jeune mère nommée Julie Bilotta a fait les manchettes dans tout le Canada. Après neuf heures en phase de travail, elle a donné naissance à un garçon alors qu’elle était en isolement cellulaire au
Centre de détention d’Ottawa-Carleton, où elle était en détention provisoire. Les ambulanciers n’ont été appelés qu’après qu’une infirmière ait remarqué qu’un pied du bébé commençait à sortir de son corps.
Julie n’a été autorisée à tenir son bébé dans ses bras qu’en route vers l’hôpital en ambulance, puis elle a été renvoyée – seule – au centre de détention, après la naissance pratiquement sans assistance et à risque élevé (en présentation par le siège), de son bébé arrivé presque à terme.
N’eût été de l’indignation du public et du plaidoyer d’organismes locaux, elle n’aurait pu voir son bébé qu’en visite fermée de 20 minutes, pendant l’attente de son procès. Trois mois après son accouchement, Julie a été libérée sous conditions strictes et a pu retrouver son bébé; les deux ont été logés dans un établissement résidentiel local.
Fait tragique : bien qu’elle ait été hospitalisée ainsi que son bébé, pour de possibles blessures liées à la naissance, le fils de Julie est décédé un an plus tard en raison de problèmes respiratoires qui, selon sa mère, sont reliés à sa naissance prématurée sur un plancher de béton au centre de détention.
Même si cette affaire a attiré une attention internationale et déclenché une vague de protestations, les expériences traumatiques de la séparation ainsi que les piètres soins de santé sont courants dans le contexte de l’incarcération. Ceci, en dépit du fait que les personnes incarcérées ont un droit à la santé – tel que reconnu en droit international des droits de la personne ainsi que dans les articles 85 à 87 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui requièrent du Service correctionnel du Canada qu’il fournisse les soins de santé essentiels qui contribueront à la réhabilitation des individus et à une réinsertion réussie dans la collectivité.
Plusieurs facteurs peuvent affecter grandement l’exercice et la revendication, par un individu, de ses droits sexuels et génésiques ainsi que son accès à des services de santé de qualité et à de l’information. Le fait d’être incarcéré est sans contredit un de ces facteurs. Cela est particulièrement préoccupant dans le contexte du profilage ciblé, de la surveillance policière et de la criminalisation de populations marginalisées, au Canada.
Le taux disproportionnément élevé d’incarcération parmi les populations racialisées et autochtones, en raison d’un racisme systémique et de longue date et d’autres types de discrimination — est catalysé par les peines minimales obligatoires, que les juges sont à présent tenus d’appliquer pour certaines catégories de délits.
Des peines plus longues accroissent la probabilité de piètres résultats de santé, pour les personnes incarcérées, en particulier en matière de santé sexuelle et génésique. De plus, des taux élevés d’incarcération affectent profondément l’ensemble des communautés; des recherches démontrent que l’impact de l’incarcération ne se limite pas aux individus qui sont incarcérés. L’incarcération de mères est généralement associée à la dépression, la colère, le piètre rendement scolaire et des perturbations du milieu, parmi les familles et en particulier pour les enfants de ces femmes. L’impact touche des communautés entières et se prolonge pendant des générations.
Les gouvernements ont une obligation relevant des droits humains internationaux, de veiller au respect et à la garantie de la santé sexuelle et génésique de tous et de toutes ainsi qu’aux droits qui s’y rattachent.
Pour souligner ces faits à l’occasion de la Journée internationale des droits de la personne (le 10 décembre), Action Canada pour la santé et les droits sexuels s’allie à ses collègues du Native Youth Sexual Health Network et du National Aboriginal Council of Midwives, pour le lancement à Ottawa des Mother-Baby Prison Health Guidelines [Lignes directrices pour les prisons, relativement à la santé des mères et bébés], et pour offrir une tribune de rassemblement et de discussion concernant les droits des parents incarcérés de prendre soin de leurs bébés et de former des liens avec eux. Il s’agira d’une occasion de mettre en lumière des réalités des femmes qui doivent accoucher en prison ainsi que la nécessité de travailler à des avenues de rechange durables et culturellement sûres, à la criminalisation et à l’incarcération.
Krysta Williams, du Native Youth Sexual Health Network, a résumé parfaitement la problématique, en disant : « Nous savons que les jeunes femmes autochtones sont incarcérées à des taux beaucoup plus élevés, mais qu’elles sont également aux prises avec une somme importante de violence, y compris de la part de l’État. Ceci met en relief le fait que, même si nos corps demeurent criminalisés à excès, nos droits demeurent insuffisamment protégés. Tous les efforts possibles devraient être faits afin que les femmes enceintes, les mères et les bébés reçoivent leurs soins dans leurs communautés, et afin de trouver des avenues de rechange durables à l’incarcération. »
Pour satisfaire les besoins de santé sexuelle et génésique des personnes incarcérées – et en particulier des individus racialisés, au Canada, qui sont criminalisés et incarcérés de façon disproportionnée –, il faut mettre en œuvre des mesures comme celles recommandées dans les lignes directrices susmentionnées, et viser la vraie justice en s’attaquant aux causes sous-jacentes de la discrimination et des autres déterminants sociaux de la santé.
Pour plus d’informations sur les droits des parents incarcérés de prendre soin de leurs bébés et de former des liens avec eux, joignez-vous à Action Canada, au Native Youth Sexual Health Network et au National Aboriginal Council of Midwives, le 9 décembre 2015 de 19 h à 21 h, pour le lancement des Mother-Baby Prison Health Guidelines.
L’événement aura lieu au Centre de naissance et de bien-être d’Ottawa, un lieu qui est accessible en fauteuil roulant. Cliquez ici pour de plus amples renseignements à propos de l’événement.