Article initialement publié dans le Huffington Post
La semaine dernière, les Centers for Disease Control (CDC) des États-Unis ont diffusé un avertissement directement aux femmes, au sujet de la consommation d’alcool. Cet avis soulignait les risques d’une trop grande consommation d’alcool qui, selon les CDC, incluent : blessures/violence, infections transmissibles sexuellement et grossesses non planifiées. Peu après, l’administrateur en chef de la santé publique du Canada affirmait dans un rapport que « [l]es femmes peuvent être plus vulnérables aux agressions sexuelles ou à d’autres formes de violence lorsque leur consommation d’alcool est trop importante » – négligeant d’inclure des avertissements aux hommes ou quoi que ce soit au sujet des auteurs proprement dits de la violence sexuelle.
Lorsque des organismes de santé publique diffusent des avertissements, l’objectif est d’offrir une information d’actualité, pertinente, fondée sur des données probantes et de grande qualité, afin d’outiller les gens pour qu’ils prennent des décisions éclairées à propos de leur corps et de leur santé. La tornade qui s’en est suivie dans les médias sociaux illustre exactement à quel point les CDC et notre chef de la santé publique ont raté la cible.
Entre les moqueries, les préoccupations et la réelle colère, dans la vague des médias sociaux, la plupart des commentateurs se rejoignent à la base : d’abord, en disant qu’une perspective qui aurait pu être importante et utile a été présentée d’une façon qui tombe dans le discours paternaliste à propos des corps de quelles personnes on doit surveiller et contrôler; également, en signalant qu’il est bien facile d’écarter ces avis du revers de la main en étant d’avis que ce ne sont que de piètres tactiques de peur.
Le feuillet d’information des CDC et le rapport de l’administrateur en chef de la santé publique sont deux exemples des nombreux espaces où les gouvernements et institutions tentent de contrôler le corps et la sexualité des femmes — et leur capacité d’autonomie dans leurs décisions.
Pour ce qui concerne la grossesse (et, en particulier, le corps des femmes), le degré de contrôle que notre culture sociale cherche à exercer est disproportionné par rapport à l’information que nous avons. Consciemment ou pas, le choix de langages et les tactiques utilisées outrepassent la simple préoccupation à l’égard des préjudices scientifiquement démontrés, pour le corps d’une personne ou une grossesse potentielle ou avérée.
Cela indique comment, en tant que société, nous considérons certains choix et certains corps, et comment nous punissons les auteurs de transgressions. Des avertissements comme ceux-là perpétuent des conceptions essentialistes du genre, de la reproduction et de la sexualité, qui peuvent stigmatiser certaines populations et s’avérer nocives pour la santé.
De tels messages font référence à des sentiments profonds, dans notre culture, concernant le corps des femmes (et sa possession de ces corps) ainsi qu’à la capacité ou incapacité des femmes de prendre des décisions complexes concernant leur santé, leur corps et leur famille, lorsqu’elles naviguent dans les circonstances particulières de leur vie. Ce genre d’approche ne devrait pas influencer les campagnes, politiques et services de la santé publique, entre autres.
Néanmoins, ce genre de message se rencontre partout. Le corps des femmes est constamment une cible de la honte et du contrôle — le procès Ghomeshi et la réponse au virus zika en étant deux exemples à grand rayonnement.
Les plaintes des femmes sont « discréditées » par un rétrécissement du point de mire sur des facteurs non pertinents qui misent sur une comparaison entre leur comportement avant, pendant et après l’agression. Le narratif en cour et hors cour est supplanté par les stéréotypes concernant la façon dont la victime — plutôt que l’agresseur — aurait dû se conduire. Comme il est fréquent dans les affaires d’agression sexuelle, des hypothèses discriminatoires au sujet du comportement d’un témoin et de ce qu’elle a fait de mal sont tout sauf rares. Cela est plus évident dans cette catégorie de procès que dans toute autre. On remet même en question les témoignages des femmes concernant leur propre corps.
La réaction initiale au virus zika a des tangentes semblables. Les gouvernements et intervenants de santé de partout dans les Amériques se précipitent pour contenir l’épidémie, mais ont complètement laissé de côté l’élément des droits des femmes. À présent que l’on croit que le virus est associé à une incidence accrue d’encéphalite, des gouvernements comme celui d’El Salvador ciblent directement les femmes. Dans un pays où l’avortement est illégal et où la contraception est difficile à obtenir, on dit aux femmes de ne pas devenir enceintes avant 2018, et ce, en l’absence de tout message aux hommes pour qu’ils cessent les rapports sexuels procréatifs — sans se rendre compte de ce dans quoi cette asymétrie s’enracine, et sans examiner comment les troubles de naissance sont en hausse en particulier dans les régions pauvres des pays les plus touchés.
Pour les personnes qui choisissent d’éviter la grossesse, il n’y a pas de services en place pour l’exercice de leurs droits génésiques, pas plus que de services pour soutenir et habiliter les personnes vivant avec un handicap.
Ceci est vrai du Canada également, où, bien que l’avortement soit légal, des éléments comme l’objection de conscience, les centres de crise en grossesse, la stigmatisation et le fait que seulement un hôpital sur six fournit des services d’avortement (la plupart, dans des centres urbains), créent tous des obstacles importantset nous rappellent combien, en tant que culture, nous faisons peu confiance aux femmes pour prendre des décisions pour elles et leur corps.
D’un bout à l’autre, le message est clair et retentissant. Lorsqu’il s’agit de prendre une décision qui concerne leurs corps, dans le cas des femmes, les gouvernements et nos institutions sociales n’ont pas confiance qu’elles puissent « faire le bon choix ».
Cela semble particulièrement vrai pour les femmes de couleur, les femmes pauvres et les femmes autochtones. De fait, on livre plutôt aux femmes des tas d’avis, sans réelle discussion sur les circonstances différentielles et les déterminants de la santé, sans se demander pourquoi on fait porter à la femme le fardeau de contrer l’agression sexuelle, les ITS et les grossesses non planifiées — et sans reconnaître qu’offrir des choix et de l’information sans les accompagner de soutien et de ressources, au bout du compte ne conduit pas à grand-chose.