Par Sandeep Prasad, directeur général d’Action Canada
Article initialement publié dans le Huffington Post
Trudeau doit redonner aux femmes leur place dans le budget. Parce que nous sommes en 2016.
Une caractéristique du féminisme est le respect de l’autonomie corporelle, sans laquelle il ne peut y avoir égalité de genre. Un conseil des ministres paritaire est certes un bon début, mais une femme qui ne peut décider de son corps n’est aucunement « égale ».
Voilà bientôt 30 ans que le Canada a légalisé l’avortement. Pourtant, à peine un hôpital sur six offre ce service, surtout dans les grands centres et à moins de 150 km de la frontière américaine. Outre ce manque de disponibilité, d’autres obstacles compliquent l’accès à l’avortement : temps d’attente, âge, coûts, statut migratoire, et objections de la part de médecins au nom de valeurs morales ou religieuses.
Bref, au Canada, l’avortement est légal, mais pas obligatoirement accessible.
Oui, les soins de santé — dont l’avortement — sont de compétence provinciale ou territoriale. Mais le gouvernement fédéral est responsable de s’assurer du respect de la Loi canadienne sur la santé, laquelle stipule un accès universel à des soins de santé essentiels, dont l’avortement.
Un gouvernement qui se targue de promouvoir l’égalité de genre doit donc garantir à toute personne souhaitant mettre fin à sa grossesse de pouvoir le faire sans risque.
Le gouvernement peut notamment concrétiser sa vision pro-choix en octroyant aux provinces et aux territoires le financement nécessaire à des services complets et libres de santé sexuelle et reproductive, dont l’avortement, dans le cadre d’un nouvel accord sur la santé assorti des budgets requis, garantissant ainsi à toute personne au Canada son droit de vivre en santé.
Le gouvernement peut aussi subventionner la formation de professionnels de la santé actuels et futurs sur le recours à la mifépristone en région rurale ou éloignée. Ce médicament jugé essentiel par l’Organisation mondiale de la Santé est la pilule abortive de choix dans plus de 60 pays. Après l’approbation de Santé Canada en septembre dernier, la mifépristone sera commercialisée sous le nom « Mifegymiso » à compter de cet été.
Ce médicament permettra un meilleur accès à l’avortement dans certaines régions comme le Grand Nord canadien, où n’existent à l’heure actuelle que quatre cliniques spécialisées pour desservir près d’un million de kilomètres carrés au Nunavut, au Yukon et dans les Territoires-du-Nord-Ouest. Mais qu’en est-il des coûts?
Une ordonnance de mifépristone coûtera environ 270 $, montant que devraient couvrir les dispositions d’un budget pro-choix. Comme pays se voulant un chef de file en matière d’égalité de genre et de droits des femmes ici et à l’étranger, le Canada doit donc aller au-delà des mots et sortir son portefeuille.
Le gouvernement Trudeau a également promis de recommencer à financer les services d’avortement sans risque dans le cadre de son aide internationale. La ministre du Développement international, l’honorable Marie-Claude Bibeau, a d’ailleurs récemment confié à La Presse que l’avortement et la contraception ne seraient plus des sujets tabous. Mais là encore, les gestes comptent plus que les mots.
Le gouvernement du Canada doit subventionner les projets et les organismes de base qui permettent aux autres pays d’offrir un meilleur accès aux services de santé sexuelle et reproductive, dont la contraception et l’avortement sans risque.
Notre gouvernement a déjà envoyé un signal clair en s’engageant à bonifier les subventions qu’il accorde aux programmes et aux fournitures de santé sexuelle et reproductive du Fonds des Nations Unies pour la population. Pourtant, le Canada est loin de respecter son engagement de consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide internationale, et encore moins sa promesse d’allouer 10 % de son aide publique au développement à la santé et aux droits sexuels et reproductifs.
Toute nouvelle subvention et tout projet en cours portant sur les mariages forcés ou précoces d’enfants, la violence sexuelle ou l’Initiative de Muskoka sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants doivent s’assurer d’accorder la priorité à certains droits essentiels tel l’accès à des contraceptifs ou à des services d’avortement sans risque, jusqu’ici négligés, voire sciemment ignorés.
La réalité pro-choix signifie qu’il faut faire plus que simplement financer ces services et en accroître l’accessibilité ici et à l’étranger : il faut aussi subventionner la promotion des droits sexuels et reproductifs dans les pays qui bénéficient de l’aide canadienne.
Si Trudeau est réellement féministe, il doit redonner aux femmes et à leurs droits sexuels leur place dans le budget.