Article initialement publié dans le Huffington Post
Hors de ses frontières, le Canada mène le combat contre la violence sexuelle et fondée sur le genre. Mais il en va bien autrement dans notre propre pays.
C’est grâce au Canada que les Nations Unies se sont dotées d’un Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes, et c’est notre pays qui pilote chaque année au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU une résolution sur cette forme de violence. Pas plus tard que la semaine dernière, le Canada a aidé à négocier les conclusions adoptées par la Commission onusienne de la condition de la femme, engageant les États membres à se doter de mécanismes de prévention, de protection et de recours judiciaire complets et axés sur l’égalité entre les sexes, permettant notamment aux victimes de violence d’en aviser les autorités sans crainte de représailles.
Comme le souhaite Trudeau, le Canada est donc en bonne voie de redevenir un chef de file mondial en matière de protection des droits sexuels et reproductifs, du respect de l’orientation sexuelle et du droit à une éducation sexuelle complète, trois composantes essentielles de la lutte contre la violence sexuelle et fondée sur le genre.
Les efforts politiques déployés par notre pays à l’étranger s’inscrivent dans un cadre juridique international qui oblige tout gouvernement à combattre efficacement la violence contre les femmes et à offrir à ses victimes une aide digne de ce nom.
Ces efforts du Canada hors de ses frontières permettent aux autres pays de démontrer que la violence contre les femmes n’est pas inéluctable en se dotant de lois, de politiques et de programmes qui protègent les femmes contre ce fléau, obligent les auteurs à en rendre des comptes, et évitent toutes représailles aux victimes qui portent plainte.
Bref, nous faisons de réels progrès dans la lutte contre la violence faite aux femmes à l’étranger. Mais il en va tout autrement au sein de nos propres frontières, où prévaut un cadre juridique bien différent.
Jeudi dernier, l’ancien animateur vedette de la CBC Jian Ghomeshi a été reconnu non coupable de quatre chefs d’agression sexuelle et d’un chef d’avoir tenté d’étouffer, de suffoquer ou d’étrangler une personne dans le but de vaincre sa résistance. Dans leur analyse de ce verdict, les médias ont insisté sur les incohérences, voire les duperies des plaignantes lors de leurs témoignages.
Pourtant, les médias (et bien des Canadiens) ne comprennent pas encore que la violence sexuelle devient un problème particulièrement complexe lorsque son auteur est une personne de votre connaissance. Les liens personnels et émotionnels entre l’auteur de la violence et sa victime rendent une rupture entre les deux souvent difficile ou non souhaitable, sinon même dangereuse. Il n’est donc pas rare que la victime garde contact avec son tortionnaire, d’autant plus qu’une femme risque bien davantage d’être violentée chez elle, par son conjoint ou une autre personne de sa connaissance.
Or le système juridique canadien se fonde encore sur une interprétation dépassée de la violence sexuelle, qui oppose une « innocente victime » à un « méchant inconnu ».
Au Canada, les victimes de violence sexuelle qui portent plainte sont souvent traumatisées par un système juridique qui les oblige à revivre leur mauvaise expérience lors de contre-interrogatoires agressifs teintés par des perceptions erronées des gestes et de l’apparence qui auraient dû ou devraient être les leurs.
Couplé au faible taux de condamnation en matière d’agressions sexuelles, ce risque réel de traumatisme prouve que le Canada décourage effectivement les victimes de porter plainte et n’en fait pas assez pour contrer la violence sexuelle ou fondée sur le genre.
Le chef de file mondial qu’est notre pays en matière de lutte contre la violence faite aux femmes doit donc s’inspirer des meilleures pratiques internationales en la matière pour étoffer son propre système juridique, lequel a jusqu’ici fait la triste preuve de son inefficacité quand vient le moment de secourir les victimes.
Le Canada doit poser au sein de ses frontières les mêmes gestes juridiques et politiques qui prévalent sur la scène internationale.
Ce faisant, notre pays reconnaîtra réellement la honte, le stigmate et la crainte que vivent les victimes de violence sexuelle et qui les empêchent souvent de porter plainte. Le Canada se dotera alors d’un cadre au sein duquel les femmes et les filles pourront facilement contacter les autorités et obtenir de l’aide juridique ou autre sans devoir subir de discrimination. Ce cadre pourrait notamment comprendre des mécanismes de plainte ou encore des tribunaux spécialisés qui protégeraient la confidentialité des victimes et leur éviterait tout stigmate, traumatisme ou violence subséquente.
Le Canada peut en faire plus, et le simple fait d’appliquer au sein de ses frontières des mesures qui prévalent déjà à l’étranger pourra réduire de beaucoup la violence.