De nombreux groupes et initiatives, y compris Action Canada pour la santé et les droits sexuels, l’ONUSIDA, l’Organisation mondiale de la Santé, des procédures spéciales de l’ONU, le Réseau juridique canadien VIH/sida, la PIVOT Legal Society, de même que des chercheurs universitaires, des regroupements pour les droits des travailleuse(-eur)s du sexe et plusieurs autres parties intéressées, au Canada et dans le monde, font résolument valoir la nécessité de lois, politiques et programmes qui respectent, protègent et réalisent les droits des travailleuse(-eur)s du sexe. Amnistie internationale se joint à présent à eux.
La Politique d’Amnistie internationale sur l’obligation des États de respecter, protéger et appliquer les droits humains des travailleurs et travailleuses du sexe appuie ces droits et met en relief le nombre de violations qui se produisent à l’encontre de ces personnes. L’organisme signale notamment des phénomènes marqués de marginalisation, de stigmatisation, de discrimination et de violence, résultant d’une impression que ces personnes « sont perçu[e]s, du fait de leur métier, comme transgressant les normes sociales ou sexuelles et/ou les stéréotypes de genre. »
Le droit international des droits humains garantit à toute personne les mêmes droits et libertés, sans aucune distinction. Or dans plusieurs pays, les travailleuse(-eur)s du sexe sont privés de leurs droits les plus fondamentaux et élémentaires. Les États ont pourtant l’obligation de veiller à la sécurité et à la protection de ces personnes ainsi qu’à leur accès à des moyens adéquats de réparation en cas de violation; et de tenir responsables de leurs actes les auteurs de violence à l’égard des travailleuse(-eur)s du sexe.
Les recommandations de politiques d’Amnistie internationale cadrent avec les recherches internationales démontrant sans contredit que la criminalisation du travail du sexe est à la fois une violation des droits humains des travailleuse(-eur)s du sexe et un facteur qui expose ces personnes à des risques pour leur santé et pour leur vie.
Le droit criminel contraint les travailleuse(-eur)s du sexe à exercer leur métier dans des secteurs non sécuritaires et sans protection, et il les prive d’accès à d’importantes stratégies pour leur sécurité; les conséquences pour leur santé, leur sécurité, leur dignité et leur liberté sont sérieuses et profondes.
La criminalisation peut également entraîner la peur de répercussions juridiques et de harcèlement pour être en possession de condoms et de lubrifiant (ces éléments pouvant être utilisés pour prouver la vente ou l’achat de services sexuels);[1] elle réduit la capacité des travailleuse(-eur)s du sexe de négocier la pratique du sexe plus sécuritaire avec leurs clients;[2] elle nuit à leurs relations avec des fournisseurs de services de santé (par exemple, les intervenants qui fournissent des condoms et du matériel de réduction des méfaits) en raison de la crainte d’être identifiés comme des travailleuse(-eur)s du sexe et d’être ciblés par la police;[3] elle conduit à l’impunité pour les auteurs de violence sexuelle et physique à leur égard; et elle augmente les risques pour le VIH et les autres infections transmissibles sexuellement, car les travailleuse(-eur)s du sexe rencontrent des obstacles considérables à leur accès à des services de prévention, de traitement et de soins, en grande partie à cause de la stigmatisation, de la discrimination et de la criminalisation.
Les recherches d’Amnistie internationale réaffirment les données existantes indiquant que le « Modèle nordique » est préjudiciable aux travailleuse(-eur)s du sexe. Sans consultation auprès de ces personnes, ce modèle intensifie la stigmatisation et les risques de leur travail, sans pour autant réduire la demande de services sexuels.
En dépit des données probantes et d’un jugement de la Cour suprême du Canada, le travail du sexe est encore criminalisé, au Canada. La Loi de 2014 sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation criminalise l’achat de services sexuels, la communication visant leur achat ou leur vente, l’obtention de bienfaits matériels issus du travail du sexe ainsi que la publicité concernant des services sexuels.
Action Canada accueille favorablement la nouvelle politique ainsi que les recherches sur lesquelles elle est fondée. En collaborant avec les mouvements sociaux alliés et en suivant le leadership des travailleuse(-eur)s du sexe, nous pouvons mettre fin à la culture d’impunité à l’égard de la violence contre les travailleuse(-eur)s du sexe, et demander que le Canada s’acquitte de ses obligations juridiques de respecter et de protéger les droits de toutes les personnes, y compris les travailleuse(-eur)s du sexe, de vivre dans la dignité, sans subir de violence – à commencer par l’abrogation de la loi de 2014.
La politique d’Amnistie internationale concernant le travail du sexe demande aux États de :
- Abroger les lois qui criminalisent ou pénalisent directement ou en pratique les personnes adultes qui conviennent de façon consensuelle d’un échange de services sexuels contre rémunération; et s’abstenir d’adopter d’autres lois en ce sens;
- S’abstenir d’appliquer d’autres lois de façon discriminatoire à l’égard des travailleuse(-eur)s du sexe, notamment en ce qui a trait au vagabondage, au flânage et aux critères d’immigration;
- Revoir les lois pour cesser le recours à des dispositions qui englobent toute activité et criminalisent la plupart des aspects du travail du sexe, sinon tous; orienter les lois et politiques pour protéger la santé et la sécurité des travailleuse(-eur)s du sexe et pour contrer tous les actes d’exploitation et de traite de personne (y compris les enfants) dans le cadre du commerce du sexe;
- Répondre aux stéréotypes sous-jacents et néfastes concernant le genre et d’autres éléments, de même qu’à la discrimination et aux inégalités structurelles qui affectent les travailleuse(-eur)s du sexe, qui alimentent la marginalisation et l’exclusion et qui conduisent de façon disproportionnée des individus de groupes marginalisés à vendre des services sexuels;
- Favoriser la participation significative des travailleuse(-eur)s du sexe au développement des lois et politiques qui affectent directement leur vie et leur sécurité;
- Veiller à la présence de cadres et services efficaces pour aider les personnes souhaitant cesser le travail du sexe, au moment où elles en prennent la décision; et
- Assurer aux travailleuse(-eur)s du sexe un accès égal à la justice, aux soins de santé et autres services publics, de même qu’à une protection égale au regard des lois.
[1] Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, « La décriminalisation et l’atteinte des objectifs de santé publique », https://drive.google.com/folderview?id=0B3mqMOhRg5FeUWNObDNMS3AzUW8&usp=sharing&tid=0B3mqMOhRg5FeNlY4ZkxFb2pLaWM
[2] Kim Blankenship et Stephen Koester, « Criminal Law, Policing Policy and HIV Risk in Female Street Sex Workers and Injection Drug Users », (2002) 30 Journal of Law, Medicine and Ethics 548, p. 550; Annika Eriksson et Anna Gavanas, Prostitution in Sweden 2007 (Socialstyrelsen 2008) https://www.socialstyrelsen.se/lists/artikelkatalog/attachments/8806/2008-126-65_200812665.pdf p.48; Ulf Stridbeck (dir.), Purchasing Sexual Services in Sweden and the Netherlands: Legal Regulation and Experiences—An Abbreviated English Version. A Report by a Working Group on the legal regulation of the purchase of sexual services (Justis-og Politidepartementet, 2004) https://www.regjeringen.no/globalassets/upload/kilde/jd/rap/2004/0034/ddd/pdfv/232216-purchasing_sexual_services_in_sweden_and_the_nederlands.pdf p. 13 et 19; Petra Östergren, « Sexworkers critique of Swedish Prostitution policy » (2004), https://www.petraostergren.com/pages.aspx?r_id=40716 ; Rosie Campbell et Merl Storr, « Challenging the Kerb Crawler Rehabilitation Programme », (2001) 67 Feminist Review 94, 102, citant Steph Wilcock, The Lifeline Sexwork Project Report: Occupational Health and Safety Issues and Drug Using Patterns of Current Sexworker: Survey Findings (Manchester: Lifeline, 1998); Pro Sentret, Året 2010 (Pro Sentret, 2011) https://prosentret.no/?wpfb_dl=438 [consulté le 20 octobre 2013] p.72, 78-79
[3] Helsedirektoratet (Norwegian Directorate of Health), UNGASS Country Progress Report Norway: January 2008–December 2009 (Helsedirektoratet, avril 2010) https://www.unaids.org/en/dataanalysis/knowyourresponse/countryprogressreports/2010countries/norway_2010_ country_progress_report_en.pdf p.36, p. 95 à 102.