Lettre ouverte par Sandeep Prasad, Anu Kumar | Ricochet
Le féminisme dont se revendique Justin Trudeau est mis à l’épreuve depuis le jour où il a été élu premier ministre. En cette Journée mondiale d’action pour l’accès à l’avortement sûr et légal – le 28 septembre –, il est temps que le gouvernement canadien passe de la parole aux actes.
Certes, ce nouveau gouvernement fait des progrès et efface peu à peu les reculs en matière de droits humains laissés par son prédécesseur – en lançant une enquête nationale concernant les femmes autochtones disparues et assassinées, en restaurant le formulaire long pour le recensement et en accueillant un nombre historique de 25 000 réfugiés syriens. Mais le premier ministre Trudeau n’agit pas rapidement pour réaliser ses promesses d’avancement pour les droits génésiques des femmes, en particulier en ce qui concerne l’accès à l’avortement sécuritaire et légal au Canada et à l’étranger.
Privées d’accès à l’avortement sécuritaire et légal, plusieurs femmes se tournent vers des méthodes non sécuritaires. Chaque minute, dans le monde, quelque 40 femmes reçoivent un avortement non sécuritaire parce qu’elles n’ont pas d’autre choix et parce que, pour mille raisons possibles, elles ne veulent pas mener leur grossesse à terme. L’avortement non sécuritaire est l’une des cinq principales causes de mortalité maternelle – et c’est la seule qui peut complètement être évitée.
De plus, l’accès à des soins d’avortement sécuritaires constitue un droit humain fondamental. Les instances mondiales des droits de la personne ont constamment recommandé que l’on cesse d’imposer des peines criminelles aux femmes qui se font avorter ; et de réviser les lois en matière d’avortement de façon à ce que l’avortement non sécuritaire et illégal ne soit plus un facteur qui contribue à la mortalité et à la morbidité chez les mères. Le Canada a maintenant l’occasion d’accélérer ces progrès.
Des obstacles subsistent au Canada
Ici, au pays, plusieurs Canadiennes rencontrent des obstacles pour avoir accès à un avortement. Dans tout le Canada, seulement un hôpital sur six pratique des avortements ; la majorité de ceux-ci sont situés dans de grandes villes situées à moins de 150 km de la frontière sud. Et, bien que Trudeau ait salué l’ouverture de la première clinique d’avortement à l’Île-du-Prince-Édouard, son gouvernement ne fait pas des pieds et des mains pour aller plus loin.
Mifepristone – la pilule que l’Organisation mondiale de la Santé a inscrite sur sa liste de médicaments essentiels – a finalement était approuvée au Canada l’été dernier. Cette pilule utilisée pour provoquer médicalement un avortement offre un énorme potentiel pour accroître l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, en particulier dans les régions isolées du Canada. Toutefois, les règles imposées par Santé Canada pour son utilisation sont indûment contraignantes. Si on ne les révise pas, elles affecteront la dignité des personnes qui recourent à des soins d’avortement et elles nuiront à l’accès à cette pilule.
Des efforts insuffisants à l’étranger
Mais il ne s’agit pas uniquement du rôle du premier ministre Trudeau au Canada. Le renouvellement de l’Initiative de Muskoka offre au Gouvernement du Canada l’occasion de faire progresser considérablement la santé et les droits des femmes et filles du monde entier. La ministre Marie-Claude Bibeau peut et doit remplir son mandat en matière de développement international et combler les lacunes de l’Initiative de Muskoka en ce qui concerne la santé et les droits génésiques.
En mars 2016, la ministre Bibeau a fait les premiers pas en annonçant l’engagement renouvelé du Canada envers l’amélioration de la santé sexuelle et génésique dans les pays en développement. Le gouvernement a annoncé son appui à des projets du Fonds des Nations Unies pour la population, ainsi qu’un soutien institutionnel s’élevant à 76 millions $ et une somme additionnelle de 5 millions $ pour des fournitures contraceptives. Cette annonce va dans le sens de l’accès universel à la santé et aux droits sexuels et génésiques, mais cela ne suffit pas.
Les données de l’Organisation mondiale de la Santé permettent d’estimer que, chaque année, 33 millions de personnes qui utilisent des moyens contraceptifs sont toutefois aux prises avec une grossesse non désirée. L’avortement fait partie intégrante de la gamme de services de santé génésique et il ne devrait pas être un sujet tabou. Il devrait être intégré dans les efforts mondiaux – et nationaux – de promotion de l’accès universel aux services de santé sexuelle et génésique. Nous savons, comme cela est démontré par les exemples de l’Éthiopie, du Népal et de divers pays d’Europe occidentale, qu’il y a moins d’avortements non sécuritaires et que moins de femmes perdent la vie lorsque l’avortement est intégré dans les autres services de santé génésique comme la contraception. Ceci est bénéfique pour les familles et les communautés.
Justin Trudeau a l’occasion de prendre position et d’agir pour faire respecter le droit de choisir des femmes, et pour éviter des pratiques non sécuritaires d’avortement, en incluant l’avortement sécuritaire comme partie intégrante des soins de santé. C’est une occasion historique d’agir en leader mondial audacieux, en promouvant et en appuyant tous les aspects des droits sexuels et génésiques au pays et à l’étranger. En ce 28 septembre, le moment est tout désigné. Parce qu’on est en 2016.
Sandeep Prasad est avocat et directeur exécutif de l’organisme Action Canada for Sexual Health and Rights.
Anu Kumar est vice-présidente exécutive chez Ipas, une ONG basée aux États-Unis défendant l’accès à des soins d’avortement sécuritaires à travers le monde.