Un billet de Sandeep Prasad, directeur général
Publié dans Huffington Post
Je me souviens encore de ce que j’ai ressenti lorsque Trump a été élu. Parmi tant d’autres droits et libertés, les droits génésiques se retrouvaient une fois de plus menacés.
Son vice-président ainsi que l’ambassadeur étatsunien auprès des Nations Unies et le secrétaire d’État nommé à la Santé et aux Services humains sont tous de vifs tenants du camp anti-choix; il a fait des commentaires concernant l’idée de punir les femmes qui se font avorter; il a promis de nommer des juges anti-choix à la Cour suprême – dans l’espoir précis de voir celle-ci renverser le jugement Roe v. Wade – et a lancé l’idée de retirer le financement à Planned Parenthood et d’interdire l’avortement au-delà de 20 semaines de grossesse.
Plusieurs personnes se sont prononcées contre les promesses anti-choix faites par Trump, notamment des milliers de personnes qui font des dons à Planned Parenthood en empruntant le nom de Mike Pence.
Il est évident que cette présidence pourrait avoir de sérieuses répercussions sur les droits reproductifs aux États-Unis. La ligne d’information et de références d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels a même reçu un nombre accru d’appels de gens des États-Unis qui se demandent comment procéder pour se faire avorter au Canada. Mais une autre sérieuse préoccupation concerne les répercussions mondiales qu’aura l’élection; les États-Unis sont le plus grand bailleur de fonds pour la santé reproductive dans les pays en développement.
En dépit de l’Amendement Helms, qui interdit depuis 1973 la prestation de services reliés à l’avortement dans tous les projets de développement financés par les États-Unis, l’aide internationale étatsunienne joue un rôle considérable dans la santé reproductive mondiale.
En 2016 seulement, les 607,5 millions $ désignés pour la U.S. International Family Planning Assistance ont permis de fournir des services de contraception à 27 millions de femmes et de couples, et de prévenir six millions de grossesses non intentionnelles, deux millions d’avortements non sécuritaires ainsi que 11 000 décès maternels.
En plus de l’Amendement Helms qui demeurera en vigueur, il est probable que Trump rétablisse la Politique de Mexico (la Règle du bâillon mondial), l’ordonnance présidentielle qui interdit aux ONG récipiendaires de financement du Gouvernement des É.-U. de fournir des services d’avortement ou de l’information, du counselling, des références en la matière ou de faire un plaidoyer pro-choix. La Règle du bâillon mondial impose des limites de financement qui vont bien au-delà de ce qu’inclut l’Amendement Helms : elle est une muselière pour les organismes pro-choix.
Advenant que Trump réactive la Règle du bâillon mondial le jour suivant son inauguration à titre de président, les organismes auront 90 jours pour mettre fin à leurs projets en cours, avant que la politique n’entre en vigueur. Ceci pourrait entraîner la fermeture d’organismes et de cliniques qui fournissent des services qui sauvent des vies. La réactivation de cette règle par George W. Bush, en 2001, a conduit à la fermeture et à la consolidation de cliniques au Ghana, en particulier en région rurale, et à une augmentation du nombre de grossesses non désirées, dont 20 % se sont terminées par un avortement, probablement non sécuritaire dans plusieurs cas.
En ce moment où les États-Unis s’orientent vers des politiques anti-choix, deux des partis politiques canadiens – y compris le gouvernement actuel – ont des positions ouvertement pro-choix. L’accès aux services est également appelé à croître en raison de la future clinique d’avortement de l’Île-du-Prince-Édouard et de la pilule abortive nouvellement approuvée (Mifegymiso), pourvu que Santé Canada abolisse les restrictions actuelles, y compris son coût. Bien qu’il reste encore du travail à faire au pays, le Canada a le potentiel d’être en ce moment exactement ce dont le monde a besoin.
Dans l’examen que fera notre gouvernement quant à l’impact qu’aura la présidence de Trump sur les politiques étrangères et intérieures du Canada, un élément auquel le premier ministre Trudeau et son cabinet devront porter une attention minutieuse est l’avenir du financement et l’appui politique concernant ces enjeux. Plus que jamais, le gouvernement canadien doit être fidèle à sa promesse d’éliminer des lacunes liées aux droits et aux soins de santé des femmes relativement à la reproduction.
La ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, a déjà été explicite quant à l’appui du Canada à un ensemble complet de services de santé sexuelle et reproductive, incluant les soins d’avortement sécuritaire, les contraceptifs et l’éducation sexuelle complète. C’est le moment de passer aux actes à ces égards. Les positions du Canada sont encourageantes, mais devant le recul qui sévit aux États-Unis notre gouvernement doit accroître son rôle. Si le Canada est vraiment le pays féministe dont nous avons désespérément besoin, son titre de champion mondial pour les droits des femmes devra levitra trouver écho dans des actions audacieuses, à l’heure où elles sont requises plus que jamais.
La présidence de Trump sur quatre à huit ans pourrait avoir des conséquences sérieuses pour la prochaine décennie. Or le Canada pourrait se placer à l’avant-garde des droits des femmes, sur la scène mondiale, en s’engageant à verser une nouvelle somme de 4,25 milliards $ sur 10 ans pour combler le manque à gagner de l’Initiative de Muskoka, à commencer par 125 millions $ en 2017-2018, puis à raison de 500 millions $/année à compter de 2020-2021, et ce jusqu’en 2026-2027. Ces chiffres vous semblent peut-être élevés – mais en réalité, ils sont inférieurs aux contributions du gouvernement Harper. Un dollar à la fois, le Canada préviendrait plus de quatre millions de grossesses non intentionnelles, un million d’avortements non sécuritaires, 50 000 décès de mères et de nourrissons et plus de 200 000 préjudices liés à la grossesse.
Voilà le genre d’engagement international qui fait une différence dans le monde. Le Canada a l’occasion d’être un réel modèle de leadership en aidant les femmes et les filles à exercer leurs droits. Les quatre à huit prochaines années sous la présidence de Trump et les suivantes auront un impact majeur sur un trop grand nombre de vies. Nous ne pouvons pas rester passifs et attendre de voir ce qui se produira.