Par Ann Wheatley et Sandeep Prasad
Version anglaise d’abord paru dans le Guardian.
Ann Wheatley est coprésidente d’Abortion Access Now PEI. Sandeep Prasad, une avocate basée à Ottawa, est directrice générale d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels.
Après 35 ans d’activisme et de prise d’actions (incluant la menace d’une poursuite en justice), les services liés à l’avortement sont enfin offerts dans toutes les provinces du Canada.
En réponse à la poursuite intentée par Abortion Access Now PEI, le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard annonçait, il y a près d’un an aujourd’hui, que des services d’avortement allaient être offerts dans la province pour la première fois depuis 1982. Il s’agit d’une grande victoire pour la génération de femmes, de personnes trans et d’allié(e)s qui ont milité pour les droits génésiques dans une province jusqu’à tout récemment surnommée le « sanctuaire de vie du Canada » par le mouvement anti-choix.
L’avortement, qui est reconnu comme une procédure médicale essentielle, est légal au Canada depuis près de trois décennies. Malgré cela, les femmes et les personnes trans ont dû, pendant 30 ans, quitter l’Île-du-Prince-Édouard à leurs frais pour obtenir des services d’avortement. Chaque année, environ 100 à 200 femmes devaient se rendre dans les provinces avoisinantes, et parfois plus loin encore, pour obtenir un avortement. La distance et les coûts rendaient ces déplacements difficiles pour plusieurs, voire impossibles pour certaines.
Maintenant que l’Hôpital Prince County offre des services d’avortement, les femmes et les personnes trans qui habitent l’Île pourront enfin avoir accès à des avortements dans leur propre province. La construction d’un centre de bien-être pour femmes commencera aussi sous peu. Lorsqu’il ouvrira ses portes, le centre offrira non seulement des avortements, mais aussi une vaste gamme de services de santé sexuelle et génésique, notamment des services de soins prénatals et postnatals, des services de santé mentale post-partum, le dépistage d’ITSS et du soutien aux insulaires qui désirent avoir accès à des traitements de fertilité à l’extérieur de l’Île. Il s’agit là de services très attendus et fort nécessaires.
Bien qu’aucune loi ne prescrive de stade maximal de grossesse pour l’obtention d’un avortement au Canada, la nouvelle clinique de l’Île-du-Prince-Édouard fournira des avortements jusqu’à la douzième semaine de grossesse. Tout comme les activistes de la région, nous avons bon espoir que ces limites seront éventuellement repoussées afin de s’aligner aux autres provinces. Dans certains cas, quelques semaines peuvent faire une réelle différence. À chaque jour, Action Canada pour la santé et les droits sexuels reçoit des appels des quatre coins du pays de personnes qui veulent un avortement, mais qui n’arrivent pas à l’obtenir parce qu’elles sont trop avancées dans leur grossesse ou que les listes d’attente sont trop longues. Ceci signifie que de nombreuses personnes devront continuer de se déplacer à l’extérieur de leur province, et ce, principalement à leurs propres frais.
Il faut aussi porter attention à la façon dont les avortements médicaux (pilules abortives) seront fournis à l’Île-du-Prince-Édouard. La norme d’or de l’Organisation mondiale de la Santé en matière d’avortements médicaux (une pilule appelée Mifegymiso au Canada) a finalement été approuvée par Santé Canada il y a environ deux ans; elle est maintenant disponible et commence à être prescrite en Alberta et en Colombie-Britannique. Utilisé par des millions de personnes à l’échelle planétaire, ce médicament a déjà fait ses preuves aux États-Unis et en France. Au Canada, ce médicament peut contribuer à améliorer l’accès aux services d’avortement, particulièrement pour les femmes vivant en régions rurales ou éloignées et n’ayant pas accès à l’option chirurgicale. Cette avancée dépend toutefois de la façon dont les gouvernementaux provinciaux, dont l’Île-du-Prince-Édouard, vont réglementer et couvrir ce médicament.
Pendant 35 ans, les femmes de l’Île-du-Prince-Édouard se sont battues pour que leurs droits génésiques soient reconnus. Sans leurs efforts, il n’y aurait eu aucune poursuite en justice, aucun gouvernement « qui fait la bonne chose », aucun centre de bien-être pour femmes, aucun service d’avortement. Alors même qu’elles organisaient des manifestations, écrivaient des lettres et rencontraient des responsables de politique, ces femmes amassaient aussi des fonds, discrètement, pour aider d’autres femmes et d’autres personnes trans obligées de se déplacer à l’extérieur de l’Île pour obtenir des services médicaux qui leur étaient refusés dans leur propre province. Alors que les gouvernements et les politicien(ne)s, tour à tour, continuaient de défendre une politique qui contrevenait manifestement aux droits fondamentaux des femmes et des personnes trans, alors que ces gouvernements et ces politicien(ne)s décidaient d’ignorer les préjudices causés par leurs actions – ou plutôt par leur inaction, les militant(e)s de la communauté créaient des réseaux, naviguaient au sein d’un système brisé et facilitaient l’accès aux services d’avortement. Les militant(e)s de la communauté se sont assuré(e)s que les femmes aient le contrôle de leur corps, c’est maintenant au gouvernement de prendre le relais.
La réintroduction des services d’avortement à l’Île-du-Prince-Édouard est non seulement un réel motif de réjouissance, c’est aussi hommage à chaque personne qui a contribué à ces 35 années d’activisme et de labeur.