Commentaire éditorial de Sandeep Prasad, directeur général d’Action Canada, et de Gillian Barth, présidente et chef de la direction de CARE Canada, publié à l’origine sur OpenCanada.Org
À l’heure où les pays s’apprêtent à se réunir à Londres, le 11 juillet, pour le Sommet de la planification familiale 2020, le Canada a une occasion unique de rappeler à la communauté internationale que promouvoir les droits sexuels et génésiques lors des crises humanitaires sauve des vies – tout comme l’eau potable, le logement et la nourriture.
Chaque jour, quelque 2 000 réfugiés affluent vers le nord-ouest de l’Ouganda en provenance du Soudan du Sud. Craignant les conflits, plus de 600 000 réfugiés ont migré seulement cette année – principalement des femmes et des enfants. La crise des réfugiés du Soudan du Sud est celle qui connaît la croissance la plus rapide, mais la tendance n’est pas limitée à ce jeune pays.
Au Yémen, plus de la moitié des demandes de femmes en matière de contraception ne trouvent pas réponse. Cet échec a donné lieu à plus de 550 000 grossesses non planifiées en 2016. Des femmes désireuses d’accéder à des mesures contraceptives et à des services d’avortement sécuritaire s’en voient privées.
Alors que la communauté internationale tente de répondre à des besoins fondamentaux (comme l’eau potable, le logement, la nourriture et les installations sanitaires), l’accès à la santé et aux droits sexuels et génésiques – y compris l’avortement – est souvent considéré comme étant moins prioritaire. Et les conséquences sont graves.
Le besoin de services complets en santé sexuelle et génésique s’accentue en situation d’urgence. Les personnes affectées par des conflits armés et des catastrophes naturelles ont un risque accru de violence sexuelle, de morbidité et mortalité maternelles et de complications découlant d’avortements non sécuritaires. Il n’est pas étonnant que la demande de contraceptifs et d’avortements en situation de crise humanitaire soit énorme; par exemple, près des trois quarts des réfugiées syriennes enceintes interviewées au Liban souhaitaient prévenir toute grossesse future, et plus de la moitié ne désiraient pas leur grossesse en cours. Or il est possible d’habiliter les individus à revendiquer leurs droits génésiques, même dans les contextes les plus difficiles.
Pour mitiger réellement les crises humanitaires, les gouvernements et la société civile doivent adopter une approche féministe et fondée sur les droits humains. Ceci signifie que nous ne pouvons fermer les yeux sur le contexte plus large de la discrimination sexospécifique. Nous devons trouver des solutions complètes et fondées sur les droits, même en situation de crise. Et nous devons faire en sorte que ce que la prestation de services de santé génésique inclue diverses options et s’accompagne d’informations accessibles, de grande qualité et adaptées aux jeunes. L’approche antérieure à la fourniture de contraceptifs a contribué à limiter les choix individuels. Nous devons nous engager à ce que toutes les femmes puissent faire des choix entièrement libres et éclairés concernant leur vie génésique, notamment en ayant accès à la gamme complète des méthodes contraceptives. En situation de crise, nous devons investir dans des programmes qui renforcent la compréhension des droits sexuels et génésiques et qui habilitent les individus à façonner et à surveiller les services qu’ils reçoivent, de sorte qu’ils répondent à leurs demandes et réalisent leurs droits.
En janvier, lorsque la Maison-Blanche a cessé de financer les organismes qui fournissent de l’information, des références ou des services en matière d’avortement sécuritaire, ou qui militent pour ces services, elle a provoqué un manque à gagner de 600 millions $ US par année en santé génésique mondiale. Il est plus important que jamais que les gouvernements, les bailleurs de fonds et la société civile investissent dans des programmes de santé sexuelle et génésique complets et fondés sur des données probantes, fournissant aux individus l’information et les services qu’il leur faut pour faire des choix entièrement libres et éclairés quant à leurs corps et à leurs vies.
De plus, les investissements devront s’accompagner de systèmes de reddition de comptes, y compris une collecte des données fondée sur des méthodologies féministes. Lorsque des données désagrégées et sensibles au genre ne sont pas recueillies, les besoins des femmes (et notamment des plus désavantagées d’entre elles) deviennent invisibles. Dès lors que des systèmes de santé, des fournisseurs de services et des gouvernements se coordonnent pour renforcer le suivi, les arguments à l’appui d’une approche de santé sexuelle et génésique fondée sur les droits deviennent irréfutables.
Le mois dernier, le Gouvernement du Canada a annoncé sa première politique d’aide internationale féministe. Cette politique historique promet que, d’ici 2021-2022, au moins 95 pour cent des investissements bilatéraux canadiens pour l’aide internationale cibleront ou intégreront l’égalité des genres et l’habilitation des femmes et des filles. La nouvelle politique comporte un engagement de 650 millions $ CAN sur trois ans pour soutenir des soins de santé sexuelle et génésique complets en contexte de développement. Ces fonds visent à « combler le fossé » laissé par les anciennes politiques restrictives du Canada en matière de santé et de droits sexuels et génésiques, y compris pour la contraception et l’avortement sécuritaire. Par ailleurs, en mars 2017, le Canada a promis de verser 20 millions $ CAN au mouvement She Decides, qui sollicite la coopération internationale en réponse à l’écart financier mondial créé par la politique de Mexico des États-Unis. Le mouvement She Decides a pour mandat de réaliser les droits fondamentaux des femmes et des filles; nous nous attendons à ce que le Sommet de la planification familiale du 11 juillet à Londres continue de promouvoir les choix et les droits humains de cette façon.
Puisque le Sommet vise à élargir l’accès à l’information, aux services et aux fournitures en matière de planification familiale dans 69 pays parmi les plus pauvres au monde, il s’agit d’une occasion unique et opportune pour le Canada de mettre en application sa vision féministe. Pour ce faire, le Canada devrait inclure quatre actions clés parmi ses priorités du Sommet, afin d’ouvrir l’accès à des services de santé sexuelle et génésique fondés sur les droits pour toutes les femmes et les filles affectées par des crises et des conflits.
Premièrement, le Canada devrait inciter les pays affectés par des crises à établir des programmes et des cadres pour la santé et les droits sexuels en situation de crise humanitaire. Plusieurs de ces pays ont encore un faible taux de prévalence de la contraception et des taux élevés de mortalité maternelle et infantile.
Deuxièmement, le Canada devrait annoncer son intention de compléter sa nouvelle politique d’aide internationale féministe par une politique humanitaire assurant que des investissements dans l’information, l’éducation et les services en matière de santé sexuelle et génésique constituent un aspect fondamental de sa réponse à toute crise.
Troisièmement, le Canada devrait collaborer avec d’autres gouvernements à faire en sorte que leurs investissements pour renforcer la capacité des systèmes de santé de résister aux crises englobent la promotion de la santé sexuelle et génésique. Même en situation de fragilité et d’instabilité chronique, des gouvernements ont mis à profit leurs investissements en préparation et réponse humanitaires, en mobilisant de nouvelles ressources, en améliorant les politiques et en renforçant la capacité des systèmes de santé. Le Canada doit faire pression pour ouvrir l’accès aux choix génésiques, tant en période de stabilité que de crise.
Finalement, le Canada devrait coordonner ses investissements à ceux d’autres bailleurs de fonds afin d’assurer la continuité du soutien à la santé et aux droits sexuels et génésiques, que ce soit en période stable, en début de crise ou en crise prolongée. Puisque le changement climatique et l’instabilité politique contribuent à des crises humanitaires plus nombreuses et prolongées, les mécanismes de financement et de coordination doivent être adaptés à un fonctionnement efficace en situation de crise à long terme.
Dans un climat politique qui menace des décennies de progrès en matière de droits humains, l’appui à la santé et aux droits sexuels et génésiques complets en situation de crise humanitaire est un domaine où le leadership canadien pourrait combler une lacune vitale et grandissante. Le Sommet de Londres est une occasion pour le Canada de signaler que l’accès à des services de santé sexuelle et génésique en situation de crise est salvateur, habilitant et rentable, et de réaliser son obligation internationale de promouvoir les droits humains dans certains des environnements les plus difficiles au monde.