La semaine dernière, le ministre de la Santé du Manitoba, Kelvin Goertzen, a été interpellé à l’Assemblée pour avoir pris la parole lors d’un rassemblement anti-choix. Il a soutenu que c’était par expérience personnelle et a évité toute question. Pourquoi est-ce si préoccupant? Parce que cet homme est ministre de la Santé.
D’aucuns défendront son droit à des croyances personnelles ou religieuses, mais c’est oublier la grande responsabilité qui lui incombe à titre de mandataire du gouvernement et comme individu détenant le pouvoir de dépenser pour accorder ou refuser des services médicalement nécessaires – notamment l’accès à l’avortement et aux soins connexes.
Oui, l’avortement est décriminalisé au Canada depuis plus de 30 ans. Oui également, la création d’une loi criminelle serait de ressort fédéral. Mais plusieurs personnes du Manitoba et du reste du Canada n’ont pas accès à l’avortement. Ceci est particulièrement pertinent, car la réponse aux obstacles à l’avortement dépend souvent du ministre provincial de la Santé.
Le Manitoba est également l’une des provinces où il est le plus difficile d’obtenir un avortement. Plusieurs personnes qui ont besoin de ce service doivent voyager plus de 20 heures (à leurs frais) pour se rendre à Winnipeg ou Brandon, voire dans une autre province.
Faciliter l’accès à la pilule abortive (appelée Mifegymiso au Canada) fait partie des pouvoirs du ministre et c’est une mesure qui pourrait avoir un impact positif en région rurale et éloignée. Or le coût du médicament n’est pas universellement couvert par la province et demeure hors de portée pour bon nombre d’individus.
Le coût du médicament (entre 350 et 450 $) est un des nombreux coûts que le ministre pourrait réduire. Le transport, l’hébergement, la garde d’enfants, les soins familiaux et les pertes de salaire rendent encore plus difficile pour plusieurs personnes d’accéder aux services d’avortement offerts uniquement dans les grands centres urbains.
Le coût de la pilule abortive est couvert pour tous les individus de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec, mais pas pour ceux du Manitoba. La province a discrètement ajouté Mifegymiso à son formulaire de médicaments l’an dernier – mais, contrairement aux provinces où le coût du médicament est couvert pour toute personne titulaire d’une carte d’assurance maladie valide, le Manitoba en paie les coûts uniquement pour les personnes inscrites aux prestations étendues de son Régime d’assurance-médicaments, de même que dans deux sites à Winnipeg, et un à Brandon, où des services d’avortement chirurgical sont déjà offerts. L’annonce a d’ailleurs été faite par la ministre de la Condition féminine, et non par le ministre de la Santé, qui refuse d’aborder l’enjeu ou de prononcer le mot « avortement » en public. Ce silence en dit très long.
Quand le ministre responsable d’assurer aux Manitobain-es un accès équitable et en temps opportun aux soins de santé n’aborde pas les soins pour l’avortement mais qu’on le surprend à participer à un rassemblement anti-choix, la question se pose : les croyances personnelles d’un seul homme sont-elles en train de violer les droits de milliers de personnes?
Les ministres de la Santé des provinces et territoires du Canada se réunissent cette semaine à Winnipeg. En tant que pays, nous avons l’occasion remarquable de mieux respecter le droit à la santé de chaque individu. Or les ministres provinciaux et territoriaux de la Santé, y compris Kelvin Goertzen, joueront un rôle majeur dans la définition de cette stratégie.
La couverture du coût des médicaments comme la pilule abortive par un régime national d’assurance-médicaments complet et universel est la seule option de politiques qui satisfait aux normes des droits humains pour tous les individus, y compris ceux des communautés couramment marginalisées ou ignorées par les systèmes de soins de santé.
L’absence de stratégie nationale d’assurance-médicaments constitue une discrimination systémique sur la base du sexe, de l’identité de genre, du statut VIH et du statut de migration, entre autres, car les groupes les plus affectés par les lacunes dans la couverture des médicaments incluent les femmes, les communautés autochtones, les personnes trans et de genre non conforme, les communautés racisées et les personnes ayant un faible statut socioéconomique ou de santé. La façon dont l’accès à Mifegymiso se dessine en est un exemple éloquent.
Le Régime d’assurance-médicaments du Manitoba rembourse un certain montant, mais seulement aux personnes dont le revenu serait le plus gravement touché par le coût élevé des médicaments d’ordonnance. Ceci ne tient pas compte des moyens nécessaires pour accéder à la pilule abortive à l’extérieur de Brandon et de Winnipeg.
Et l’enjeu ne se limite pas au Manitoba : les représentants de nos gouvernements provinciaux et territoriaux à travers le Canada ont l’obligation proactive de mettre de côté leurs croyances personnelles et religieuses pour considérer les droits humains de tous leurs concitoyen-nes, y compris leurs droits génésiques, avant toute décision de politique de santé.
En vertu du droit international sur les droits de la personne, les gouvernements ont l’obligation de réaliser progressivement le droit à la santé au maximum de leurs ressources disponibles. À cet égard, le Manitoba et l’ensemble du pays échouent. Trop de Manitobain-es voient leurs besoins ignorés, et le Canada est le seul pays au monde à avoir un système de soins de santé universel qui n’inclut pas de stratégie nationale d’assurance-médicaments.
La pilule abortive n’est qu’un exemple de besoin non comblé en matière de soins de santé génésique. Les personnes du Canada ont accès à moins d’options contraceptives que les résidents d’autres pays industrialisés; l’absence de couverture universelle limite la capacité d’une personne de faire des choix libres et sensés quant à la méthode de contraception qui répond le mieux à ses besoins.
Les ministres de la Santé ont la responsabilité d’assurer notre santé génésique, et aucune croyance personnelle ou politique ne devrait interférer avec la revendication de ces droits. Une stratégie nationale d’assurance-médicaments appuyée par les ministres provinciaux et territoriaux est un pas dans la bonne direction pour réaliser ce droit et pour remettre le Canada sur un pied d’égalité avec les autres pays dotés d’un système de soins de santé universel.