Mesdames et messieurs, je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole aujourd’hui. Pour ceux qui ne nous connaissent pas, Action Canada for Sexual Health and Rights est une organisation canadienne qui oeuvre à l’échelle nationale et internationale. Elle a pour mission de défendre les droits à la santé sexuelle et génésique. Je sais que l’étude du comité porte sur différends aspects qui touchent les enfants et les jeunes, mais je vais m’attarder aujourd’hui sur la question des mariages précoces et forcés des enfants et sur la façon dont le Canada peut renforcer son rôle à cet égard.
Le mariage précoce et forcé des enfants est une violation des droits de la personne très répandue, dont les causes sont profondément enracinées dans les inégalités entre les sexes, les normes et les stéréotypes, y compris dans la perception traditionnelle patriarcale du statut et du rôle des femmes dans la société, ainsi que dans le contrôle social du corps des femmes et des choix en matière de sexualité. Le mariage précoce et forcé des enfants constitue un exemple de la façon dont ces causes profondes se manifestent dans la société. Mentionnons également la mutilation des organes génitaux féminins et les attaques à l’acide, de même que le retrait des jeunes filles de l’école, qui est souvent le premier pas vers le mariage forcé.
Les problèmes associés aux mariages forcés, même s’ils sont fondés sur les inégalités entre les sexes, sont également exacerbés par d’autres facteurs d’inégalité tels que la pauvreté, le faible niveau de scolarité et la ruralité. Après qu’il y ait eu mariage dans ces circonstances, ces jeunes filles et ces jeunes femmes continuent de subir toutes les mêmes inégalités et formes de contrôle, qui sont évidemment des violations fondamentales des droits de la personne.
Tout d’abord, les jeunes filles mariées sont deux fois plus susceptibles de subir de la violence sexuelle, et cette violence est souvent parfaitement légale. Selon ONU Femmes, 127 pays ne criminalisent pas explicitement le viol conjugal et, en fait, 53 d’entre eux l’autorisent.
Ensuite, les adolescentes et les jeunes femmes n’ont souvent pas accès à l’information sur la santé sexuelle et génésique ni aux services connexes, y compris à des moyens de contraception. Même si ce manque d’accès est en partie attribuable à une pénurie de ces services, il découle également de certaines exigences juridiques quant au consentement de l’époux, de la coercition exercée par l’époux et du fait que ces services ne sont pas conviviaux ou ne permettent pas de répondre aux besoins précis en matière de santé sans qu’il n’y ait de jugement.
À l’heure actuelle, plus de 220 millions de femmes et d’adolescentes qui sont mariées ou dans une union aimeraient avoir accès à une méthode contraceptive moderne.
Si une adolescente tombe enceinte malgré elle, il se peut qu’elle n’ait pas accès à un avortement sécuritaire ni aux soins prodigués après un avortement. Parmi les facteurs qui ont une incidence sur le manque d’accès à ces services d’avortement figurent sa légalité dans le pays en question, la disponibilité du service et, encore une fois, le consentement de l’époux.
Enfin, si elles mènent leur grossesse à terme, elles pourraient ne pas avoir accès au personnel ni aux installations qui leur garantiraient un accouchement sécuritaire.
Compte tenu du manque d’accès aux services en matière de santé sexuelle et génésique, y compris aux services de santé maternelle, la mortalité maternelle est la deuxième cause de décès chez les adolescentes dans les pays en développement. Ce n’est qu’un aperçu de la situation des jeunes filles qui sont forcées de se marier. Si on veut lutter contre le mariage précoce et forcé des enfants, il faut s’attaquer à toutes ces violations des droits de la personne interreliées qui sont enracinées dans les inégalités entre les sexes et d’autres inégalités.
Étant donné l’intérêt du comité pour le rôle du Canada dans ce dossier, j’aimerais exprimer quelques réflexions. Tout d’abord, au niveau intergouvernemental, je tiens à féliciter le gouvernement d’avoir porté cette question à l’attention du Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale des Nations Unies.
À l’heure actuelle, tout comme pour la mutilation génitale des femmes, les gouvernements n’interdisent pas particulièrement cette pratique, même là où elle est répandue. Par conséquent, il faudrait porter une attention particulière à ce dossier afin de lutter contre le phénomène des mariages précoces et forcés des enfants.
Le Canada devrait proposer des résolutions fermes et de fond qui définiraient les mesures que doivent prendre les États pour éliminer ces pratiques et promouvoir les droits des personnes qui en font l’objet. Pour ce faire, il faut nécessairement adopter une approche exhaustive et intégrée qui englobe l’éducation, la santé et la justice.
Pour la résolution de juin du Conseil des droits de l’homme, nous exhorterions le gouvernement à s’assurer que la commission du conseil demande un rapport technique sur les différentes approches axées sur les droits de la personne pour lutter contre ce phénomène. Un tel outil aiderait les gouvernements à cerner les interventions clés nécessaires pour mettre en oeuvre les obligations et les principes en matière de droits de la personne.
Outre cet effort, le gouvernement devrait concrétiser son engagement consistant à entamer un dialogue avec d’autres pays, à la fois de façon bilatérale et dans le cadre du processus d’examen périodique universel. Il faut non seulement mettre de l’avant les approches destinées à prévenir le mariage précoce et forcé des enfants, mais aussi contester les violations aux droits à l’éducation, à la santé et à l’intégrité physique. Cela nécessite donc une collaboration avec les pays afin de réformer des lois, y compris établir un âge de mariage minimal, criminaliser le viol conjugal et éliminer les obstacles juridiques ou politiques aux services de santé, notamment les exigences relatives au consentement de l’époux et la criminalisation de l’avortement.
Dans le cadre du programme de l’après-2015 qu’on s’apprête à adopter, nous nous sommes entendus sur un objectif d’égalité entre les sexes. La lutte contre les mariages d’enfants en fait partie, tout comme beaucoup d’autres questions interreliées. La mise en oeuvre de cet objectif, et d’autres aspects de cet ambitieux programme de l’après-2015, devra être financée au moyen de ressources nationales et internationales ainsi que par le truchement de nouveaux mécanismes de financement. D’autant plus qu’avec les objectifs de développement du Millénaire, les pays donateurs doivent réaffirmer leur détermination à accroître leurs dépenses liées à l’aide au développement, de façon à ce qu’elles représentent ou dépassent 0,7 % du revenu national brut.
Dans le cadre de ses efforts visant à lutter contre le mariage précoce et forcé des enfants, le gouvernement doit accorder la priorité aux investissements dans la santé sexuelle et génésique, y compris la planification des naissances. Bien que ces investissements appuient la reconnaissance de ces droits de la personne, ce sont également des investissements intelligents. À l’heure actuelle, les complications de l’avortement coûtent aux femmes, aux jeunes filles et à leur famille quelque 600 millions de dollars américains par année. À l’inverse, on estime que le fait de répondre aux besoins en matière de contraception et de services de santé sexuelle et génésique d’ici 2030 rapporterait 120 dollars américains pour chaque dollar dépensé et plus de 400 milliards de dollars américains en bénéfices annuels.
En terminant, j’estime que le gouvernement doit envisager d’investir davantage dans les organisations de femmes et de jeunes qui oeuvrent pour l’égalité entre les sexes. Malgré une attention accrue à l’égalité entre les sexes, les organisations de femmes elles-mêmes en arrachent à l’échelle internationale. Il est donc nécessaire d’appuyer ces voix qui contestent les normes et les inégalités à l’origine de ces violations des droits de la personne, notamment le mariage précoce et forcé des enfants, qui est un enjeu majeur à l’heure actuelle.
Je vous remercie de votre attention. Je répondrai volontiers à vos questions.